SILICIUM

Le silicium (symbole Si, numéro atomique 14) ne se trouve pas à l’état natif, mais constitue, sous forme de silice et de silicates, l’élément le plus abondant (environ 28 p. 100), après l’oxygène, à la surface du globe (cf. SILICATES, SILICE). Son nom vient du latin silex : caillou. Antoine-Laurent Lavoisier avait soupçonné son existence en 1787, mais ce n’est qu’en 1823 que Jöns Jacob Berzelius l’isola dans un état de pureté suffisant pour pouvoir en aborder l’étude.

Le silicium cristallisé a un aspect métallique; en raison de sa dureté, il polit le verre, mais il est poli par l’émeri. Sa densité est de 2,33 à 25 0C; il fond à 1 410 0C et bout à 2 680 0C. On l’utilise de plus en plus pour l’obtention de semiconducteurs. En métallurgie, c’est un désoxydant des aciers et un élément d’alliages (fontes, aciers et alliages légers).

En raison des analogies des éléments silicium et carbone (C), on a très tôt (dès le siècle dernier et surtout au début du XXe siècle) songé à bâtir une chimie organique du silicium (chimie organosilicique). En fait, le silicium, plus volumineux et plus électropositif que le carbone, a donné naissance à une chimie organique spécifique, où son affinité pour l’oxygène tient une place prépondérante.

Le corps simple silicium

Compte tenu de la réactivité du silicium avec l’oxygène et de la grande stabilité des oxydes formés, on ne le trouve pas à l’état de corps simple dans la nature. Il est obtenu à partir de la silice, par réduction au four à arc utilisant des électrodes de graphite, généralement selon un procédé en continu et à des températures variant entre 1 600 et 1 800 0C. Il est récupéré par coulée. Une variante de ce procédé travaillant à plus basse température fait appel à l’aluminothermie. On peut estimer entre 500 000 et 1 million de tonnes la production mondiale annuelle de silicium. Selon ses applications, on distingue divers degrés de pureté et de mise en forme:

 une pureté « électronique », nécessitant des processus successifs de purification fondés sur le procédé de la fusion de zone (différence de solubilité des impuretés entre le silicium liquide et le silicium solide), ou la distillation fractionnée, après volatilisation du silicium sous forme de dérivés hydrohalogénés liquides tels que SiHCl3; cette pureté est de l’ordre du ppb (partie par milliard) atomique; elle s’exprime également par nombre d’atomes d’impuretés par centimètre cube de silicium: 1 ppb Y 0,5 Z 1013 atomes /cm3;

 une pureté « solaire » qui, pour les éléments courants, est de l’ordre du ppm (partie par million);

 une pureté métallurgique, qui est généralement de l’ordre du pour-cent.

Ces trois types d’applications induisent des mises en forme très diverses de matériaux. 1) Élaboration de monocristaux de très grande dimension, de très grande pureté (ppb) et d’une quasi-perfection cristalline pour les besoins automatisés et de grande fiabilité de l’industrie électronique (diodes, transistors, circuits intégrés, microprocesseurs, etc.) dont le degré d’intégration (nombre de composants par unité de surface) a crû très rapidement au cours des vingt dernières années (de l’ordre de 106 par « puce » élémentaire, c’est-à-dire quelques millimètres carrés), tandis que le coût de ces composants décroît par ailleurs très rapidement. Ces monocristaux sont obtenus par tirage à partir d’un bain fondu par la méthode dite de Czochralski, qui utilise des creusets de silice également de grande pureté. Leur dimension peut aujourd’hui atteindre un diamètre d’environ 20 centimètres, pour un poids total de l’ordre de la centaine de kilogrammes. Leur perfection cristalline (absence de fautes d’empilement et de dislocations) en fait sans doute actuellement les cristaux qui s’approchent le plus de l’idéalité. Quelques cristaux sont également obtenus sans creuset, par la méthode de la zone flottante, évitant la pollution de l’oxygène du creuset. 2) Élaboration de couches minces monocristallines par des techniques de dépôt en phase gazeuse ou de couches amorphes, dans des plasmas hydrogénés, pour la réalisation de diodes photovoltaïques. 3) Élaboration de lingots polycristallins destinés à l’industrie photovoltaïque ou après broyage à l’industrie métallurgique.

Propriétés

De masse atomique 28,085, le silicium naturel correspond à un mélange de trois isotopes stables: 28Si (92,27 p. 100), 29Si (4,68 p. 100) et 30Si (3,05 p. 100). Sur le plan structural, sa maille élémentaire est cubique (a  = 543,072 pm, 1 pm = 10_12 m) et de type diamant (symétrie Fd3m). Chaque atome de silicium est distant de 235 picomètres de ses quatre plus proches voisins. La liaison Si_Si est relativement forte et peut être évaluée à 220 kJ e mol_1. Cette structure est commune à la plupart des éléments de la quatrième colonne du tableau périodique (C, Si, Ge, Sn [gris]) pour laquelle on observe le passage progressif d’un état isolant (diamant) à un état métallique (Sn [blanc], Pb) lorsque les éléments deviennent de plus en plus lourds.

Le silicium non dopé est un semiconducteur dit intrinsèque, caractérisé par une bande d’énergie interdite d’environ 1,1 eV – soit sensiblement 100 kJ – séparant l’énergie maximale des électrons de liaison de celle, minimale, des niveaux électroniques vides de la bande de conduction. Cette énergie, proche de la limite inférieure des ondes électromagnétiques du spectre solaire visible, confère au silicium ses potentialités photovoltaïques: formation de paires électron-trou par absorption de ces photons. Il s’agit cependant d’un semiconducteur dit indirect qui, associant un tel transfert à l’absorption d’un phonon, ne permet pas au matériau de conduire à des effets optoélectroniques tels que ceux qui sont obtenus avec les semiconducteurs dits III-V – GaAs, InP –, pour la fabrication de diodes lasers. Par dopage par des atomes appropriés et se substituant aux atomes de silicium, on introduit des niveaux donneurs (éléments de la colonne V comme le phosphore, c’est-à-dire possédant un électron de plus) ou accepteurs (éléments de la colonne III, par exemple le bore, c’est-à-dire possédant un électron de moins). On obtient alors des semiconducteurs extrinsèques respectivement dits n et p, et dont la conductivité électrique croît linéairement avec le taux de dopage. Par ailleurs, la mobilité électronique des électrons et des trous (vitesse de déplacement), autre paramètre important de la conductivité, n’est pas très élevée et constitue un autre point faible par rapport aux semiconducteurs III-V, mais la simplicité du matériau – corps simple et donc non binaire ou ternaire – compense largement ce handicap.

Lorsque le silicium monocristallin est soumis à une oxydation anodique en milieu acide fluorhydrique, il conduit à un silicium appelé poreux, découvert dès 1956, parce qu’il présente des nanocavités dont le volume total peut dépasser 50 p. 100 du volume de l’échantillon. Il possède la propriété remarquable d’être luminescent. Ce mécanisme n’est pas encore bien compris, mais il pourrait ouvrir au silicium la voie de l’optoélectronique.

Applications

L’essentiel (Y 95 p. 100) des composants électroniques actuels est à base de silicium monocristallin; la fiabilité et les performances, qui ne cessent d’augmenter, ont conduit à la révolution technique (informatique, communications, robotique) de la fin du XIXe siècle.

Par ailleurs, les problèmes énergétiques liés aux hydrocarbures (approvisionnement, pollution, effet de serre) ont conduit à rechercher et à optimiser la capture de l’énergie solaire. La voie photovoltaïque fait appel pour l’essentiel au silicium, bien que d’autres systèmes à base de chalcogénures (CuInSe2) soient aussi envisagés. L’objectif essentiel d’une diminution des coûts a entraîné la recherche de méthodes de mise en forme appropriées. Les rendements photovoltaïques obtenus varient actuellement selon le type de matériaux entre 10 et 17 p. 100 environ [cf. PHOTOPILES SOLAIRES].

En ce qui concerne la métallurgie, il peut être utilisé soit comme adjuvant – la plupart des aciers en contiennent de 0,2 à 0,5 p. 100, des teneurs allant jusqu’à 15 p. 100 sont associées à des propriétés mécaniques ou magnétiques particulières des tôles –, soit comme désoxygénant. Dans le cas des fontes, il stabilise les fontes grises en favorisant la décomposition de la cémentite. Il entre également dans la fabrication de nombreux alliages légers à base d’aluminium.

Dérivés minéraux

Le silicium bien cristallisé est peu réactif à température ambiante. Il n’est notablement attaqué que par l’acide fluorhydrique; cela est dû à la très grande stabilité du fluorure gazeux SiF4. L’oxygène ne l’attaque qu’à chaud, la température d’attaque dépendant de l’état de cristallisation et de la présence de vapeur d’eau.

Ne seront pas évoqués ici la famille des oxydes de silicium [cf. SILICE] ni l’importante série des silicates naturels ou artificiels tels que les zéolithes [cf. SILICATES]. Il convient simplement de rappeler que l’opération d’oxydation du silicium monocristallin constitue l’une des étapes importantes de l’élaboration des composants électroniques (couche de silice amorphe pour photogravure, couche active de grande qualité isolante pour les grilles). Elle s’effectue sous des pressions variables d’oxygène, sec ou humide, entre 700 et 1 200 0C, par des systèmes de type lampes ou flashes.

Par ailleurs, le monoxyde de silicium SiO peut être obtenu par trempe à basse température sous forme d’un solide amorphe. Il est cependant nettement moins stable que son homologue carboné CO.

Siliciures

Le silicium réagit sur tous les métaux, d’où la difficulté de trouver un conteneur pour le maintenir à l’état liquide lors de sa cristallogenèse. La famille des siliciures métalliques peut être examinée en fonction du caractère ionique, covalent ou métallique de la liaison métal-silicium, ou selon l’état de condensation des atomes de silicium.

Avec les métaux alcalins ou alcalino-terreux, par exemple, on observe la formation de siliciures essentiellement ioniques tels que Ca2Si, ou Mg2Si, contenant des anions proches de Si4_, très facilement hydrolysables par les acides pour donner, entre autres, le monosilane SiH4, ou des anions Si_, polymérisés en clusters (Si4)4_ comme dans NaSi ou KSi.

Il faut également noter que la décomposition thermique de certains siliciures alcalins conduit à des formes nouvelles de silicium, constituées de cages à vingt et vingt-quatre atomes, et qui ne sont pas sans rappeler les fullerènes C60, bien que correspondant à des cages plus petites et reliées entre elles par des liaisons Si_Si. Par dopage, ils peuvent également devenir supraconducteurs.

Les siliciures métalliques tels que V3Si ou TiSi2 présentent d’intéressantes propriétés de transport électronique (supraconductivité) et se prêtent à des applications dans l’industrie des composants, comme contacts métalliques compatibles avec le substrat de silicium. D’autres siliciures ternaires de terres rares et de métaux de transition lourds présentent aussi des propriétés de supraconductivité particulière (fermions lourds).

Hydrures de silicium, les silanes

Connus depuis de début du siècle pour leur analogie avec les hydrocarbures saturés, ils se forment par hydrolyse acide de siliciures tels que Mg2Si (solutions aqueuses de HCl, ou, mieux, solutions de bromure d’ammonium dans l’ammoniac liquéfié à _ 35 0C). Leur série, formulée Sin H2n +2, est limitée sensiblement à n  = 6, quoique des dérivés supérieurs aient déjà été évoqués. Leur séparation s’effectue par distillation fractionnée. Leur grande réactivité chimique vis-à-vis de l’oxygène atmosphérique en fait des molécules difficiles à manipuler sans danger. En revanche, la substitution des atomes d’hydrogène par des radicaux alkyle stabilise fortement ces réducteurs puissants. Il en est de même pour les substitutions hydrogène-chlore. Les silanes Sin H2n +2 ne sont pas attaqués par l’eau pure, mais hydrolysés par des solutions basiques.

L’utilisation de SiH4 dans l’industrie des composants électroniques (filière japonaise en particulier) a conduit à mettre en œuvre des procédés de synthèse plus simples tels que l’action réductrice d’hydrures alcalins – ou de l’hydrure double LiAlH4 – en solution dans l’éther anhydre, sur le tétrachlorure SiCl4.

Halogénures

Le silicium réagit avec les halogènes d’autant plus facilement que l’halogène est léger. Les halogénures SiX4 formés sont des molécules tétraédriques. SiF4 est gazeux, SiCl4 et SiBr4 liquides, SiI4 solide. Les phases condensées sont très volatiles et hydrolysables par l’eau. Le fluorure SiF4 est particulièrement stable avec une enthalpie standard de formation proche de 1 600 kJ e mol_1. Sa forme complexée par deux molécules de HF, l’acide fluorosilicique H2SiF6 dont les sels sont connus, illustre avec la forme stishovite de SiO2 , l’un des cas où le silicium présente une coordinence octaédrique.

À haute température (T  P 1 100 0C), on note l’existence de molécules telles que SiF2 ou SiCl2 difficilement stabilisables à température ambiante.

Des halogénures condensés de formulation analogue à celles des silanes Sin X2n +2 sont également connus, en particulier pour le chlore. Leur hydrolyse conduit à des polymères complexes (SiO2H)n  appelés acides « silico-oxaliques ».

Des substitutions progressives entre silanes et halogénures sont possibles, la série SiH4_n Cln  existant pour 0 S n  S 4. Ces halogénosilanes sont généralement utilisés dans l’industrie électronique.

Autres dérivés

L’action à très haute température du graphite sur le silicium ou la pyrolyse de dérivés organosiliciés conduit à la formation de carbure de silicium SiC (le carborundum) de propriétés structurales et physiques particulièrement intéressantes.

SiC peut cristalliser avec des types structuraux variés allant de celui de la blende (noté b-SiC), à celui de la würtzite (noté a-SiC); ces deux formes diffèrent par la succession des couches SiC de type cubique à faces centrées (b) ou hexagonal compact (a). Plusieurs dizaines de formes intermédiaires, appelées polytypes, sont susceptibles de se former avec des mailles cristallines parfois géantes (quelques dizaines de nanomètres dans la direction perpendiculaire aux couches); une forme chaotique avec des successions aléatoires est également observée. SiC présente des propriétés thermomécaniques remarquables, une grande dureté, un caractère réfractaire marqué (sublimable au-delà de 2 500 0C). Il entre dans la fabrication des céramiques de type SiC_SiC.

Le nitrure Si3N4, de caractère ionocovalent, est également utilisé comme céramique réfractaire.

Enfin, le soufre forme avec le silicium un sulfure SiS2, formé de tétraèdres mettant en commun deux arêtes opposées pour former des chaînes polymériques (SiS2)n .

Dérivés organiques

Généralités

En raison de sa structure électronique 1s2, 2s2, 2p6, 3s2, 3p2, 3d0, le silicium se situe juste sous le carbone dans la classification périodique. Il est normalement tétravalent, mais la spécificité du silicium entraîne des différences importantes entre la chimie organosilicique et la chimie organique. Ainsi:

 Le silicium est nettement plus volumineux que le carbone (rayons atomiques en nanomètres [nm]: C, 0,091; Si, 0,132), ce qui entraîne que les liaisons impliquant le silicium sont comparativement plus longues que celles qui impliquent le carbone. Exemples (nm): C_H, 0,109; Si_H, 0,148; C_C, 0,154; C_Si, 0,189; Si_Si, 0,234; C_O, 0,141; Si_O, 0,163, les valeurs pouvant légèrement varier avec la nature des produits considérés. De ce fait, le recouvrement p est faible et, alors que l’état d’hybridation sp2 ou sp est commun en chimie du carbone, les dérivés possédant un silicium triplement lié n’existent pas, et les composés à silicium doublement lié, stables à température ambiante, sont très peu nombreux et nécessitent une protection de la double liaison par des groupes encombrants. Il existe quelques composés à double liaison Si=C, Si=N, Si=Si, Si=P... mais pas de double liaison Si=O. Notons, dans le domaine des basses valences, la possibilité de formation des silylènes > Si :.

 Le silicium possède des orbitales vacantes 3d: les orbitales dxy , dxz , dyz  favorables à l’établissement de liaisons p déjà évoquées et les orbitales d(x 2_y 2) et surtout dz 2 favorisant l’établissement de liaisons s et autorisant la penta- et l’hexacoordination de l’atome de silicium. Le silicium n’est plus alors tétraédrique, mais la structure est de type bipyramide trigonale pour les composés pentacoordinés, par exemple SiCl4,N(C2H5)3 ou les silatranes aux propriétés biologiques importantes, ou de type octaédrique pour les composés hexacoordinés, par exemple K2SiF6 ou SiF4,2N(CH3)3. Les orbitales 3d du silicium ont été invoquées pour expliquer la planéité de l’azote lorsqu’il est lié à trois atomes de silicium (interaction [pXd]p), pour contribuer à renforcer l’énergie de la liaison Si_N, mais aussi Si_O, ou encore pour interpréter la grande stabilisation des carbanions de type (CH3)3SiC_ <. Diverses considérations tendent à expliquer cette stabilité par une interaction de type (pXs*)p, qui reste encore discutée, où le doublet libre du carbanion est délocalisé dans l’orbitale antiliante de la liaison Si_C. Cependant, la stabilisation d’une charge négative en a du silicium est à l’origine d’une réaction d’oléfination de dérivés carbonylés (transformation de > C=O en > C=C <) très attractive. La mise en jeu des orbitales 3d accroît donc les potentialités de la chimie organosilicique par rapport à celles de la chimie organique.

 Le silicium est plus électropositif que le carbone (électronégativités respectives: Si, 1,8; C, 2,5; H, 2,1). Cela conduit à des énergies de liaison élevées du silicium avec les éléments très électronégatifs: 549 kJ e mol_1 pour Si_O dans les enchaînements Si_O_Si et de 600 à 690 kJ e mol_1 pour Si_F selon les composés, ce qui donne à l’anion F_ des potentialités catalytiques en série organosilicique. Le silicium, de ce fait, est sensible aux attaques nucléophiles, la substitution s’effectuant fréquemment avec une stéréospécificité élevée. Cela entraîne que la plupart des liaisons Si_S, sauf, le plus souvent, Si_C, soient aisément hydrolysables (S = Cl, Br, I, OR, NR2, OCOR, etc. – R = groupement carboné – et même Si_H en milieu basique). La réaction se termine souvent par la formation de liaisons Si_O_Si expliquant qu’à l’état naturel le silicium se trouve à l’état oxydé:

Les hydrogénosilanes sont, du fait de l’électropositivité du silicium, des réducteurs puissants qui s’additionnent aux dérivés insaturés (enchaînements > C=C <, _C´C, > C=O, _C´N, etc.). Par exemple:

Ce caractère fortement réducteur, à l’origine de l’extraordinaire réactivité du silane SiH4 vis-à-vis de l’oxygène, a conduit à remplacer la totalité ou une grande partie des liaisons Si_H par des liaisons Si_CH3, dans les composés industriels.

Une autre spécificité due à l’électropositivité du silicium est son effet stabilisant des carbocations en b (effet b). Cette stabilisation, interprétée soit par une structure pontée (A), soit par une stabilisation verticale (B):

est effectivement à l’origine d’applications en synthèse organique ; il est ainsi possible de substituer le groupe triméthylsilyle régio-(voire stéréo-) spécifiquement par un groupement électrophile; c’est la substitution ipso  (cas des vinyl-, éthynyl-, aryl-, etc., silanes, mais aussi cyclopropylsilanes non substitués), soit, et c’est le cas des allylsilanes, la substitution a lieu avec transposition. Le comportement de ces silanes comme de véritables organométalliques, donnant des réactions de substitution ou d‘addition, a conduit à une méthode générale de synthèse organique par voie organosilicique illustrée, par exemple, par le schéma ci-après:

Les méthodes proposées complètent avec bonheur les voies classiques de la synthèse organique. Ainsi, par exemple, en série aromatique, il est possible d’introduire des fonctions dans des positions inusuelles et l’on a bâti une chimie originale où la substitution électrophile n’est pas gouvernée par les effets des substituants déjà portés par le noyau aromatique, mais par la position des groupes silyles introduits. Ajoutons enfin qu’il existe aujourd’hui de nombreuses voies de silylation des substrats organiques, de nature chimique ou électrochimique, qui augmentent les potentialités de la chimie organosilicique en synthèse organique.

Les silicones

Les principaux dérivés organosiliciés industriels sont les silicones (l’une des origines de ce nom viendrait de silicon , traduction anglaise du mot silicium) dont la production mondiale, en constante expansion, avoisinerait annuellement le million de tonnes. Les méthylsilicones sont, de très loin, les plus abondantes. Leur préparation est indiquée dans le tableau.

Cette méthode, découverte par Müller en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, a été, indépendamment, industrialisée par E. G. Rochow aux États-Unis à la fin de cette guerre; cinquante ans après, très améliorée, elle est toujours d’actualité. Il faut noter que la synthèse directe des phénylchlorosilanes existe aussi, mais à échelle considérablement réduite, en utilisant le chlorobenzène au lieu du chlorure de méthyle, dans des conditions plus drastiques. Par ailleurs, les vinylchlorosilanes, qui étaient autrefois préparés par hydrosilylation de l’acétylène par HSiCln (CH3)3_n  (n  = 1, 2, 3), sont maintenant obtenus à partir de, ces mêmes hydrogénosilanes et du chlorure de vinyle. Enfin, ajoutons que d’autres types de silicones existent, mais à faibles tonnages, présentant, par exemple, des groupements du type [(F3CCH2CH2) (CH3) Si_O]n , par exemple, dont la tenue thermique peut atteindre 400-450 0C pour les huiles et 350 0C pour les élastomères, ce qui les rend irremplaçables pour des applications dans des conditions thermiques dures.

Les silicones sont des polymères particuliers. La chaîne est constituée d’enchaînements _Si_O_Si_O_inorganiques. Si l’on ajoute que le motif Si_CH3 est chimiquement stable, on ne s’étonnera pas de la grande inertie chimique des silicones: résistance à l’oxydation, au vieillissement naturel, à l’hydrolyse, à l’action des bactéries, des produits organiques et notamment alimentaires; elles sont biocompatibles. Les liaisons Si_O sont plus longues que les liaisons C_C des polymères classiques: le squelette polysiloxanique formé par ces liaisons reste flexible, déformable même à basse température. On ne s’étonnera donc pas que les élastomères de silicones puissent être utilisés entre _ 100 0C et + 250 0C, et que certains d’entre eux puissent être opérationnels jusqu’à _ 150 0C et d’autres jusqu’à + 350 0C! La répartition régulière des groupements méthyle hydrophobes confère aux silicones des propriétés spécifiques: fluidité (facilité d’étalement, caractère lubrifiant), propriétés diélectriques, hydrofugeantes, incompatibilité avec les surfaces et les produits hydrophiles, transparence. Comme, en revanche, la liaison Si_O est polaire, on peut par ce biais retrouver une certaine hydrophilie, ce qui donne aux silicones un caractère soit hydrophile, soit hydrophobe, selon l’utilisation. Si l’on ajoute leurs propriétés en émulsion, notamment dans les antimousses, on ne sera pas surpris que les silicones seules ou incorporées dans d’autres produits soient devenues indispensables non seulement dans des industries stratégiques (aéronautique, aérospatiale), mais aussi dans l’industrie tout court et, de plus en plus, dans la vie de tous les jours. Sans entrer dans le détail de leur mise en œuvre (systèmes réactifs mono- ou bicomposants et notamment, parmi les élastomères, ceux qui sont vulcanisables à chaud ou à froid dont, parmi ces derniers, les colles à froid), signalons les applications suivantes: 1) dans le bâtiment, les mastics de silicones sont largement utilisés comme joints d’étanchéité et/ou de dilatation pour le collage, ce qui a provoqué le développement du vitrage extérieur collé (par exemple la Pyramide du Louvre), ou comme matériaux pour l’isolation thermique ou phonique (mousses); 2) dans l’électricité et l’électronique, gaines de cables électriques de sécurité – mais aussi fibres optiques –, blocs dans lesquels sont incorporés des composants; 3) dans les fluides pour transformateurs, puisque les silicones remplacent aujourd’hui le pyralène dont on connaît la toxicité, ou comme fluides caloriporteurs, fluides pour pompes à diffusion, fluides hydrauliques; 4) dans l’industrie automobile, les silicones sont utilisées comme durites, bagues d’étanchéité, soufflets de protection de toutes sortes; 5) pour le traitement des surfaces, imperméabilisation, hydrofugation qui s’adressent aux tissus, aux papiers, au carton, etc.; on peut, par exemple, évoquer les conteneurs pour aliments, les « berlingots » de lait, les poêles à frire qui « n’accrochent pas » – ici, les silicones se sont substituées aux polymères fluorés –, les rouleaux adhésifs qui doivent avoir une face antiadhérente, les agents de démoulage, les couches de protection y compris la protection de la pierre, et l’on aborde ici une propriété importante des silicones qui, perméables au gaz, permettent à la fois une protection et une respiration; 6) pour la réalisation de moules de toutes sortes, y compris d’empreintes dentaires et de prothèses diverses utilisées en chirurgie, tels que joints d’articulation, tubes médicaux, cathéters, tubes pour circulation intra- ou extracorporelle, implants mammaires, etc.; 7) dans le domaine des cosmétiques et des médicaments ; bien que le rôle biologique du silicium chez l’homme soit assez mal connu, les silicones sont utilisées pour la protection de la paroi stomacale, et des oligomères de silicones permettent de traiter certaines maladies des yeux. Ce survol rapide et arbitrairement limité donne toutefois une idée de l’importance prise aujourd’hui par les silicones. Des silicones fonctionnelles nouvelles sont élaborées pour répondre à des spécificités de plus en plus astreignantes.

Les principaux producteurs actuels de silicones sont: Dow Corning Corporation, General Electric Company et Union Carbide Corporation (États-Unis), Rhône-Poulenc (France), Wacker Chemie G.m.b.H. et Bayer (Allemagne), Shin-Etsu (Japon).

Les intermédiaires de synthèse

Le prix relativement élevé des dérivés siliciés n’autorise leur emploi que pour obtenir des produits à haute valeur ajoutée. Deux stratégies sont essentiellement utilisées: l’une consiste à remplacer un hydrogène mobile (fonction acide, alcool, amine, etc.) par un groupe triméthylsilyle, au moyen d’un agent de silylation, pour rendre la molécule soluble – donc aisément analysable, notamment par les techniques chromatographiques –, voire plus réactive. L’autre consiste à protéger un site portant un hydrogène mobile par un groupe silyle [par exemple Si(CH3)2(C4H9)], puis transformer le substrat et restaurer, après réaction, la fonction initiale avec son hydrogène. Les synthèses multi-étapes, dans l’industrie ou en recherche plus académique, utilisent de plus en plus la chimie organosilicique, et, aujourd’hui, il n’existe pratiquement plus de synthèse d’édifices organiques complexes où la chimie organique du silicium ne soit pas impliquée.

Les réactions de silanisation; les primaires d’adhésion

La silanisation consiste à fixer chimiquement sur une surface, le plus souvent constituée d’un support de silice renfermant des liaisons hydroxyle en surface, une molécule de type X3Si (GF) (C), X étant, le plus souvent, un groupe éthoxyle et (GF) un groupement fonctionnel lui-même fixé au groupe X3Si par une ou plusieurs liaisons silicium-carbone stables. La condensation crée des liaisons Si_O_Si avec élimination de XH. Le plus souvent, le groupement (GF) permettra de fixer un polymère sur le support silicié minéral, par exemple de la fibre de verre comme dans le cas des skis. La fixation peut s’effectuer en badigeonnant le support avec la molécule de type (C), appelée primaire d’adhésion, et le polymère peut être ensuite ajouté directement ou après l’adjonction au support d’un produit secondaire. Les primaires sont de nature très variée en fonction de l’application visée. Le g-aminopropyltriéthoxysilane (EtO)3Si(CH2)3NH2 est le plus connu. Le groupement (GF) peut être donneur ou accepteur d’électrons, éventuellement optiquement actif, ce qui permet de préparer des silices greffées pour des séparations chromatographiques hautement sélectives. Il peut aussi contenir des ligands pour fixer un métal de transition afin de constituer des catalyseurs sur support.

Les précurseurs de matériaux céramiques à très hautes performances

Divers alcoxysilanes, et, tout particulièrement, le tétraéthoxysilane, sont utilisés pour obtenir des silices particulières (de grande pureté, de grande surface spécifique, etc.) soit par combustion, soit par hydrolyse, condensation (procédé sol-gel), séchage, puis pyrolyse. Depuis plus de vingt ans à l’échelle du laboratoire et au tout début des années 1980 à l’échelle industrielle, il a été envisagé, au Japon, de préparer des matériaux stratégiques à très hautes performances et, notamment, des fibres céramiques à base de carbure de silicium. En effet, ce composé, dont les propriétés ont déjà été évoquées, possède une résistance à l’oxydation à température élevée (jusqu’à plus de 1 400 0C) très supérieure à celle des alliages métalliques les plus sophistiqués, tout en étant très léger (densité: 3,2), ainsi que de bonnes propriétés mécaniques: il constitue donc un matériau de choix pour des applications dans des conditions extrêmes comme celles qui sont rencontrées dans l’aéronautique, l’aérospatiale, les moteurs très chauds, etc., et l’on s’est posé le problème de l’élaboration de matériaux composites céramique-céramique où à la fois la matrice et la fibre pouvaient être à base de carbure de silicium. La voie purement minérale n’étant pas appropriée pour l’obtention de fibres, l’industrie prépare des fibres à base de SiC par pyrolyse de polycarbosilanes, précurseurs macromoléculaires à enchaînement alterné d’atomes de silicium et de carbone. Les fibres de carbure de silicium étaient, jusqu’à ces dernières années, performantes jusqu’à 1 100 0C. Leurs propriétés thermomécaniques sont en constante amélioration. D’autres matériaux, surtout le nitrure, voire le carbonitrure de silicium, sont aussi préparés par pyrolyse de précurseurs organosiliciés.

La chimie organique du silicium joue aujourd’hui un rôle très important dans la société. En constante progression, relativement peu dépendante du pétrole, répondant aux critères exigés par l’écologie et aux performances requises par les technologies modernes, elle est encore appelée à un très grand développement.

Michel POUCHARD    Docteur ès Sciences. Professeur de Chimie à l’Université de Bordeaux I

Jacques DUNOGUÈS   Directeur de Recherche au C.N.R.S. Ancien Directeur du laboratoire de chimie organique et organométallique de Bordeaux I (en retraite)

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